Robert Wilson, metteur en scène de renommée internationale, s’est attaqué à une figure littéraire complexe et fascinante : l’écrivain portugais Fernando Pessoa. À travers une mise en scène innovante, il explore les thèmes chers à Pessoa, tels que le chaos et la quête de sens, en utilisant des métaphores maritimes et les réflexions philosophiques de Blaise Pascal sur le divertissement. Cet article examine comment l’œuvre de Wilson rend hommage aux écrits de Pessoa tout en y apportant sa propre interprétation artistique.
Le travail de Robert Wilson se caractérise par une utilisation frappante de la lumière, du son et du mouvement, créant ainsi une expérience théâtrale unique qui engage profondément le public. En rendant hommage à Fernando Pessoa, Wilson intègre ces éléments pour illustrer le « Fracas d’océan » et le concept de « divertissement pascalien » d’une manière qui prolonge la vision originale de l’écrivain tout en lui donnant une nouvelle dimension scénique.
L’Exploration du Monde Maritimo-Poétique
Fernando Pessoa, avec ses heteronymes, a souvent comparé la vie à un voyage en mer, ponctué par le fracas des vagues et les tempêtes du destin. Dans ses écrits, la mer devient une métaphore de l’âme humaine, en constante agitation et à la recherche d’un cap. Robert Wilson, conscient de cette symbolique, utilise des éléments aquatiques pour donner vie à cette poésie visuelle et sonore sur scène.
Les scènes sont rythmées par des sons d’océans rugissants, renforçant l’impression d’un espace théâtral en perpétuel mouvement. Le décor évoque tantôt la vastitude infinie de l’océan, tantôt l’intimité d’une cabine de navire, oscillant entre la grandeur et la vulnérabilité, capturant ainsi l’essence du langage poétique de Pessoa.
La collaboration de Wilson avec des designers de renom permet également de magnifier cet univers maritime. Les jeux de lumière, simulant la réfraction du soleil sur l’eau, ajoutent une dimension presque hypnotique, plongeant le spectateur dans l’univers intérieur dualiste décrit par Pessoa.
Le Divertissement Pascalien Revu par Wilson
Blaise Pascal, dans ses « Pensées », développe le concept de divertissement comme moyen pour l’homme d’éviter la contemplation de sa condition mortelle. Ce thème trouve un écho particulier chez Pessoa, dont les textes souvent introspectifs reflètent une lutte constante entre l’angoisse existentielle et l’évasion vers le rêve.
Robert Wilson se saisit de ce concept en transformant la scène en une juxtaposition de moments de grande intensité et de silence méditatif. Chaque personnage semble être en quête d’un refuge face à l’inquiétude de vivre, soulignant ainsi la pertinence intemporelle des réflexions de Pascal et Pessoa.
À travers une chorégraphie précise et un jeu d’acteur minimaliste mais expressif, Wilson souligne combien l’art peut servir de distraction cathartique, tout en confrontant le public à sa propre mortalité. Le « divertissement » devient alors une danse entre l’obscurité et la lumière, rappelant la fuite impossible de l’angoisse primitive.
L’Interprétation Scénique de la Multiplicité Pessoïenne
Fernando Pessoa est célèbre pour avoir créé des personnages fictifs appelés hétéronymes, chacun possédant sa propre personnalité, biographie et style littéraire. Cette complexité a inspiré Wilson à fragmenter l’espace scénique en plusieurs dimensions, reflétant l’hétérogénéité de l’identité.
Sur scène, ces différents aspects de Pessoa prennent vie grâce à une palette diversifiée d’acteurs, chacun incarnant un hétéroxyme avec une approche distincte, rangements stylistiques et rythmiques. L’usage judicieux de costumes variés contribue à renforcer l’illusion d’être en présence de multiples entités issues d’un même être.
Cette mise en scène dynamique permet au public de pénétrer un peu plus dans le labyrinthe de la psyché de Pessoa, invitant chacun à trouver résonance dans l’un ou l’autre de ces fragments de l’être, à s’interroger sur la multiplicité de sa propre identité.
Une Mise en Scène Multisensorielle
Pour rendre hommage à l’œuvre dense et polysémique de Pessoa, Wilson fait appel à une scénographie multisensorielle qui stimule non seulement la vue et l’ouïe, mais également l’imagination. Chaque élément de la mise en scène est savamment orchestré pour transporter le spectateur dans un autre monde.
Des projections vidéo surdimensionnées enveloppent le public, les immergeant dans des scénarios oniriques et surréalistes, telles des pages d’un livre vivant que l’on feuillette au gré des scènes. La musique, souvent contemporaine et parfois dissonante, dialogue avec les textes pessoïens, favorisant une immersion totale.
Wilson parvient ainsi à créer une pièce qui transgresse les limites conventionnelles du théâtre, offrant une expérience résonante et mémorable qui embrasse la richesse de l’imaginaire de Pessoa tout en exploitant pleinement les possibilités de l’art théâtral moderne.
En célébrant Fernando Pessoa, Robert Wilson nous offre à la fois une exploration intime et un spectacle grandiose qui reste longtemps gravé dans les mémoires. Sa mise en scène audacieuse capture l’esprit turbulent de l’écrivain, tout en posant des questions intemporelles sur l’identité, l’existence, et la nature de l’art lui-même.
Le « Fracas d’océan » et le « divertissement pascalien » trouvent un nouvel écho dans cette interprétation théâtrale, réaffirmant la possibilité de l’art à transcender les époques et à parler directement à l’âme humaine. Alors que le rideau tombe, la poésie visuelle de Wilson laisse derrière elle un parfum nostalgique de rêves inachevés et de questionnements philosophiques subtils.